De l’auto-censure du chercheur d’emploi

Stephanie Booth
5 min readMar 31, 2022

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Quand on cherche du travail, il faut faire attention à ce qu’on écrit en ligne. C’est bien connu. Une évidence, même. Il ne faudrait pas risquer d’effaroucher des employeurs potentiels, dans un marché du travail tendu comme un arc.

Alors je fais attention. Je me retiens. Je ne parle pas de ci, de ça, ou encore de ceci. Mais ça me chicane. Si vous me suivez sur Facebook, vous avez peut-être vu une vidéo live (privée) que j’ai faite à ce sujet il y a plusieurs mois.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles ça me chicane, et qui se rejoignent au final. En fin de compte, il s’agit d’une pesée des risques et bénéfices. En étant “prudente” dans ce que j’écris, qu’est-ce que je perds? Qu’est-ce que je gagne? Qu’est-ce que je gagnerais et perdrais à l’être moins? Où mettre la barre? De quoi est-il OK de parler, de quoi ne faudrait-il surtout pas parler? Et comment?

Cette situation m’est d’autant plus pénible, j’avoue, parce que m’exprimer par écrit, en public, est une grande part de qui je suis. C’est entre autres comme ça que je réfléchis, que je fais sens du monde et de la vie, que je crée et maintiens des liens avec autrui, et que — à mon petit niveau — j’essaie d’apporter quelque chose au monde. C’est ainsi que je me suis construite.

Aussi, durant toute ma carrière de pionnière du numérique, ce qui m’a porté c’est la vision d’une communication plus transparente, plus authentique, plus humaine. Cela ne signifie pas se passer de stratégie, de renoncer à influencer autrui, ou de sombrer dans une transparence radicale et sans filtre, mais tout de même: maintenir autant que possible qui on est dans ce qu’on dit ou écrit. On crée des liens avec des personnes, pas des constructions ou des artifices. (Enfin, on pourrait discuter de ça concernant les marques ou les célébrités: mais qu’est-ce qu’un lien?)

C’est même quelque chose que j’ai enseigné, comme approche du réseautage, et aussi pour se rendre visible dans le monde du travail.

Et là, j’avoue, maintenant que je ne suis plus (depuis plusieurs années) dans la position de l’indépendante mais de l’employée, je me retrouve, de façon presque un peu humiliante, saisie par la peur de “faire mal”, de “me griller”, de lâcher dans l’espace public quelque chose qu’on me reprochera par la suite. Quelle ironie. Moi qui ai passé des années à encourager les autres à prendre quelques risques, voilà que je n’ose pas non plus.

Qu’on soit clair: il ne s’agit pas de dire tout et n’importe quoi. Mais peut-être de mettre le curseur un peu plus loin que ce que la prudence “officielle” (et toute helvétique) dicterait. Par exemple: est-ce que je parle de ma difficulté à me positionner sur le marché de l’emploi, vu mon parcours? du diagnostic qui est en train de changer ma vie? du genre de travail que je cherche? est-ce que j’ose dire “je cherche”, plutôt que d’autres périphrases qui cherchent à renverser le rapport de forces, présentant ma disponibilité sur le marché du travail comme une opportunité à saisir pour l’employeur qui aura l’intelligence de s’emparer de moi avant les autres? est-ce que j’ose montrer un peu de vulnérabilité? est-ce que je parle du fait que par moments, l’avenir me fait peur? est-ce que j’écris sur des thématiques qui m’intéressent, comme le diabète félin, mais ne font pas partie de mon coeur de métier? est-ce que je publie des choses que j’écris en mode créatif? en gros, est-ce que je reviens à “être moi”, ou est-ce que je continue à être, ici aussi, en mode “entretien d’embauche permanent”, sans montrer la moindre faiblesse, la moindre faille, costume et cravate, ongles faits la veille?

Ecrire a toujours été pour moi un puissant moyen de me connecter aux autres. Une de mes forces, c’est mon réseau. Et j’ai fini par réaliser, il y a quelques mois, qu’en m’auto-censurant ainsi j’étais aussi en train de me couper de mon réseau — à plus forte raison durant ces années de pandémie.

Alors, qu’en est-il pour moi de cette balance des risques? Est-ce que les opportunités qui vont s’ouvrir si j’écris un peu plus, et peut-être sur des choses dont “il n’est pas considéré bon de parler trop publiquement”, vont compenser le risque que je cours de désécuriser certains? Est-ce que je saurai gérer le délicat exercice d’équilibrisme entre une plus grande transparence, et ne pas se tirer une balle dans le pied? Y a-t-il d’ailleurs une mesure objective du moment où on se tire la balle dans le pied? Je suis personnellement convaincue que la balle dans le pied pour une personne peut être le courage admirable pour une autre.

On m’a dit à plusieurs reprises qu’un de mes grands atouts était ma personnalité. Une personnalité, c’est difficile à mettre sur un CV. Que ma force était mon réseau. Un réseau, ça ne se manifeste pas tellement dans les listings de LinkedIn ou JobUp. C’est utile justement pour accéder au marché caché — mais ça ne va pas fonctionner si on le laisse dormir.

Une dernière chose qui me motive à changer ma façon de faire et d’écrire ici, c’est le principe suivant: si ce qu’on fait n’est pas en train de fonctionner, il faut essayer autre chose. Cela fait maintenant un bon moment que je réponds sagement à des offres d’emploi et que je surveille la façon dont je me présente en public. Je cherche toujours.

Des postes pour moi, il y en a. J’ai eu des entretiens. J’ai même cru, il y a un moment, avoir décroché un poste qui aurait été vraiment un bon match — mais juste pas. Je sais donc que je suis une candidate viable sur le marché du travail, et je ne doute pas de ce que j’ai à apporter à un futur employeur, mais je pense que le processus (annonce, envoyer CV+dossier, tri, entretien…) me dessert. Il est donc temps pour moi d’essayer de faire les choses un peu plus “à ma manière”, et de voir si ça change la donne.

Comme toujours, si ce que j’écris vous interpelle ou vous fait réagir, n’hésitez pas à utiliser les commentaires ou à m’écrire!

Originally published at Climb to the Stars.

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Stephanie Booth
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Written by Stephanie Booth

Anglo-Swiss. Digital communications and strategy. Lausanne. Feline Diabetes. Other random stuff.

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