Comment avoir assez peur, mais pas trop peur?
Et aussi, comment faire assez peur, mais pas trop peur?
En cette période des premiers cas de COVID-19 dans le canton de Vaud, je retrouve cette question qui me préoccupe au quotidien dans la gestion de chats diabétiques: comment avoir “la bonne quantité de peur”?
La peur est un animal compliqué. Elle est utile, elle nous protège du danger. Elle nous maintient en alerte. Mais elle peut aussi nous paralyser, nous rendre incapable de penser ou de dormir.
Comment savoir où est la posture juste, entre ceux qui trouvent qu’il est ridicule d’annuler des événements et d’éviter de se serrer la main, et ceux qui dévalisent les magasins et sa calfeutrent chez eux sans oser mettre le nez dehors?
Comment avoir assez peur de l’hypoglycémie ou de l’acidocétose pour ne pas “prendre de risques inutiles” (voyez comme le serpent se mord déjà la queue), mais pas tellement peur qu’on vit dans un état de stress permanent, si on peut appeler ça vivre?
Le cerveau humain n’est pas conçu pour bien réagir face à des risques abstraits, non immédiats. La peur de tomber de l’arbre, du serpent ou de l’ours qui nous charge, ça on gère (assez) bien.
Mais comprendre qu’une mesure comme éviter de serrer la main ne va non seulement pas me garantir que je ne tomberai pas malade, mais à l’échelle de la population va simplement freiner la progression d’une propagation inéluctable du virus, qui demande au cerveau de faire de l’équilibrisme avec des notions de statistiques et de probabilités, on est très nuls.
Je trouve très difficile de faire face à ce genre d’attitude. Peut-être parce que j’ai toujours eu un “cerveau qui aime les probabilités”, et j’ai fait un peu de gestion du risque dans mes études, j’arrive pour ma part à “voir comment ça marche”. Je fais toujours un effort pour essayer de m’extraire de l’obsession de notre cerveau pour le cas particulier, l’histoire-anecdote qui nous aide à apprendre et comprendre le monde, mais qui nous dessert quand il faut penser en termes de risque.
Alors je fais ma petite cuisine de gestion du risque dans ma tête, alimentée par ce que je lis, ce qu’on me dit, à qui je fais plus ou moins confiance, et mes quelques notions générales scientifiques et médicales.
Ça vaut ce que ça vaut, évidemment.
J’essaie de ne plus serrer la main aux gens. Je ne fais plus la bise. Trois activités de groupe (grand groupe ou avec promiscuité) auxquelles j’allais participer cette semaine ont été annulées, et j’avoue que ça me soulage car je n’ai du coup pas besoin de décider si j’y vais ou pas. J’ai toujours de quoi soutenir un siège côté nourriture, donc pas de grand changement de ce côté-là, j’ai juste mis à jour mes stocks.
J’ai appris à me laver les mains correctement et acheté du savon liquide au lieu de mes pains de savon habituels. Je n’ai pas de gel désinfectant car quand je m’y suis intéressée, on était déjà en rupture de stock. Mais ça ne m’empêche pas de dormir. Je voyage en transports publics mais je me lave les mains quand j’arrive à destination. Je toussote un peu ces temps (ça date d’avant, je vous rassure), donc je prends le pli de tousser dans mon coude.
J’essaie de motiver les personnes autour de moi de se protéger, de nous protéger, avec moyennement de succès. Qu’est-ce qui leur dit que “leur gestion du risque” est moins bonne que “ma gestion du risque”?
Je pense qu’on va plus ou moins tous voir des gens mourir. J’espère me tromper. J’espère vraiment me tromper. On a toutes les chances de se trouver confinés à l’intérieur deux semaines à un moment où un autre. De voir nos hôpitaux ou nos infrastructures peiner.
Voilà ce que je crois. Alors évidemment, vu que je le crois, je pense que j’ai raison. Avec un peu de chance je dramatise et je me trompe.
On en reparle dans quelques semaines.
Si c’est pas avant.
On est à 7 cas déclarés dans le canton.
Originally published at Climb to the Stars.